Enquête sur un système d’attribution opaque qui coûte des milliards aux contribuables.
Chaque année, l’État camerounais attribue des milliers de marchés publics à travers les appels d’offres. Mais derrière les procédures légales, notre enquête révèle un système gangrené par les conflits d’intérêts, les pots-de-vin et les sociétés de couverture.
Pendant trois mois, notre équipe a analysé 200 avis d’attribution publiés sur le site ARMP (Agence de Régulation des Marchés Publics), interrogé une dizaine d’entrepreneurs, et croisé plusieurs témoignages d’anciens agents de passation des marchés.
▶ Le cercle restreint des “gagnants réguliers”
Certaines entreprises apparaissent comme les grandes gagnantes de multiples marchés dans différentes régions du pays. À Yaoundé, une société de BTP inconnue du public a remporté, en 2023, sept marchés de réhabilitation de routes, d’un montant cumulé de plus de 5 milliards FCFA. Selon nos sources, elle appartient en réalité à un proche conseiller d’un ministre influent.
“Il existe des sociétés dites ‘prête-noms’. Les vrais patrons sont souvent des hauts fonctionnaires qui se cachent derrière des documents légaux bien ficelés,” nous confie un ancien cadre de la DGCMP.
▶ Des appels d’offres taillés sur mesure
Un entrepreneur de Douala, recalé à plusieurs reprises, explique :
“Parfois, les critères techniques sont tellement précis qu’une seule entreprise peut y répondre. C’est une manière légale de verrouiller le marché.”
Nous avons constaté que certains appels d’offres exigeaient des références spécifiques (ex. : « avoir déjà construit un pont de 25 m à base d’acier composite »), ce qui exclut d’avance 90 % des postulants.
▶ Le coût du silence
Le plus inquiétant reste le sort des chantiers. Dans la région de l’Est, trois écoles construites en 2021 avec financement public sont aujourd’hui inutilisables : absence d’eau, fissures, matériaux de mauvaise qualité. Pourtant, les entreprises ont perçu la totalité des paiements.
Face à ces révélations, l’ARMP reste muette. Contactée à plusieurs reprises, l’agence n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.
Conclusion :
La corruption dans les marchés publics camerounais n’est pas un simple dysfonctionnement : c’est un système bien rodé, aux ramifications politiques profondes. Et tant que les autorités compétentes ne garantiront pas la transparence totale, les vrais perdants resteront les citoyens ordinaires.

